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Stockholm, ville design - Interview d'Aia Jüdes
Créatrice engagée dans les questions de parité ou de genre et Commissaire de l’exposition Next Level Craft présentée à l’Institut suédois (Paris) en 2017-2018 dans le cadre de la saison Swedish Design Moves Paris, Aïa Judes nous parle de son travail, de la scène design actuelle et de ses bonnes adresses design en Suède.
Pouvez-vous nous parler de votre projet «Näver say näver*» ?
Il s’agit d’un projet expérimental de mode et d’artisanat d’art autour d’objets faits main, uniques et réalisés en écorce de bouleau. Je joue avec les statuts sociaux et j’interroge les notions de valeur, de développement durable et de consommation. Le tressage des lanières à l’ancienne flirte avec les icônes de la mode française et les codes du Street art pour produire des objets convoités, par le jeu d’une fusion humoristique. Le résultat est minutieux et tout en contrastes. À la fois brut de décoffrage et somptueusement décadent.
Mes bottes en écorce de bouleau inspirées de Louboutin ont des talons aiguilles taillés à la main et des semelles recouvertes à la feuille d’or 23 carats. Ma pochette en bouleau inspirée de Chanel est garnie de généreux pompons en cuir tanné à l’aide de produits végétaux et décoré par des logos peints à la main, dont les contours et les ombres rappellent les graffitis.
En insufflant une touche de glamour à l’écorce de bouleau, j’espère accrocher le regard des jeunes et remettre ce savoir-faire traditionnel au goût du jour.
Comment avez-vous procédé ?
On ne peut prélever l’écorce de bouleau qu’une fois par an, au moment du solstice d’été, lorsque la sève monte. Avec l’autorisation du propriétaire, évidemment. Il faut ensuite attendre plusieurs semaines que l’écorce sèche. Ce projet a demandé de longues années de travail : tout prend du temps, ne serait-ce que d’amasser suffisamment de matière. Ces créations émanent d’une coopération étroite : les objets sont fabriqués à la main par deux artisans de Dalécarlie, Rauno Uusitalo et John Lindholm, tous deux octogénaires. Les logos sont peints à la main grâce à l’aide précieuse d’un ami graffeur talentueux, Dennis Sehlin.
Comment vous êtes vous intéressée à l’écorce de bouleau ?
Il y a plus de dix ans, dans une brocante, j’ai vu un vieux sac en écorce de bouleau que j’ai d’abord trouvé insignifiant. Après réflexion, ce sac rustique qui ne payait pas de mine était infiniment raffiné. J’en suis tombée amoureuse, et j’ai commencé ma collection. Au cours de mes recherches, j’ai appris qu’en Russie, on avait découvert des parchemins en écorce vieux de 700 ans, et pourtant encore lisibles. Une photographie argentique peut se conserver plus de 100 ans, un disque dur, une trentaine d’années, et un smartphone, quoi, peut-être cinq ans ?
C’est cet aspect temporel qui m’a fasciné et m’a décidé à redonner vie à cet artisanat ancestral en voie d’extinction.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Autodidacte, je travaille de façon transdisciplinaire, en piochant dans la photographie, le film, la mode et l’artisanat. J’adore croiser divers matériaux avec des procédés issus de différents univers pour provoquer des rencontres inattendues !
Pouvez-vous nous décrire la scène actuelle du design en Suède ?
Il se passe beaucoup de choses intéressantes dans le domaine du verre – de jeunes créateurs prennent appui sur la longue histoire du design de verre suédois, expérimentent les techniques pour créer de nouvelles expressions contemporaines à la frontière entre art et artisanat d’art. Renaissant des cendres des anciennes verreries, une nouvelle génération cherche à établir ses conditions de création propres en ouvrant de nouvelles verreries collectives. Åsa Jungnelius, Frida Fjellman et Simon Klenell en font tous partie.
Et pour conclure, quels sont pour vous les lieux les plus intéressants en Suède pour découvrir le design ?
Je trouve que Design Lab S à Skärholmen au sud de Stockholm sous la direction artistique de Samir Alj Fält a une façon très rafraîchissante de traiter le processus de design. Ils font aussi un travail très intéressant envers les enfants.
Örnsbergsauktionen (la vente aux enchères d’Örnsberg) est un must dans la programmation de la Stockholm Design Week en février chaque année. Entre temps, on peut toujours suivre les différents participants et leur projets d’ateliers et d’expositions – ce qui permet vraiment de prendre le pouls de la scène du design contemporain suédois.
J’aime les expériences complètes qui permettent de vivre un design durable dans un contexte plus large. Le musée Artipelag, situé dans l’archipel de Stockholm, relie les paysages des archipels suédois, l’architecture contemporaine, une cuisine bio et de jolies expositions pour créer une expérience holistique et de qualité.
Sinon, Galleri Sebastian Schildt est une petite perle, située juste à côté de la boutique classique de Svenkt Tenn. Ils exposent des créateurs très intéressants dans les domaines de la joaillerie, du design et de l’artisanat d’art.
*Il s’agit d’un double jeu de mot : en suédois, näver désigne l’écorce de bouleau, un matériau assez commun en artisanat pour disposer d’un terme propre. En anglais, never say never se traduit par il ne faut jamais dire jamais. Avec l’accent suédois, les mots näver et never ont la même sonorité.